ERASMUS: sortir de chez-soi pour sortir de soi

1er Octobre 2022

Un an auparavant, au mois de septembre et en particulier le jour qui scelle l’union de mes parents dans le temps, j’ai quitté mon foyer, mes liens affectifs et ma vieille chatte et je suis partie en Erasmus pour huit mois, sans jamais me tourner en arrière. Destination? Montpellier, France. L’écho de la covid perturbait encore la vie quotidienne et je n’étais qu’au début de ma deuxième année à l’Université, alors que normalement on s’embarque dans cette aventure un peu plus tard. C’est pourquoi ma décision a fait l’objet de nombreuses remarques de la part de quelques membres de ma famille et pas seulement. Au contraire, moi, j'étais positivement convaincue pour la première fois de ma vie. Ce n’est pas que je ne ressentais l'inquiétude typique liée à l’entreprise des chemins inconnus et audacieux. Plutôt, j’étais tellement fascinée par ce nouveau “style” d'inquiétude, très différent de celui qui a envahi l’humanité en 2020, que je l’ai aussitôt canalisé en enthousiasme et frémissement. Toutefois j'avoue que, dès que je suis arrivée en résidence universitaire et que j’ai vu mon logement, j’ai failli choper le premier train et rentrer chez moi, les larmes aux yeux. La chambre se résumait à un lit, une armoire, un comptoir et un tout petit bain pareil à ceux des avions. Elle était si vide (il n’y avait même pas d’oreiller pour se coucher) et si comprimée à la fois... ça me donnait de la claustrophobie, un sentiment d’oppression que j’avais cru échapper avec mon départ à l’étranger. Heureusement qu’il y avait une fenêtre sur les couronnes encore verdoyantes des majestueux arbres de la cour. Les timides rayons d’or du soleil qui ricochaient sur les feuilles pour ensuite filtrer à travers les volets m’ont accompagné pendant tous les matins d’automne où je me sentais seule, et ils m’ont livré à l’hiver avec un esprit bien plus léger. Je garde soigneusement le souvenir de ces jours: après tout, j’ai toujours cru nécessaire de se plonger à corps perdu dans des situations inconfortables pour prendre la mesure du monde et grandir un peu. D’autant plus si l’on est persuadé.e de ne pas être prêt.e à confronter ses points sensibles et ses limites, ou si l’on est réticent.e à jouer ses atouts. A un moment donné, en effet, je me suis retrouvée à songer aux difficultés que le côté “langue” de cette expérience aurait pu lui aussi poser. Jamais je n’aurais imaginé paniquer pour cette raison. D’ailleurs je n’avais jamais raté un contrôle de français, je connaissais bien la grammaire et je pouvais facilement apprendre des poèmes classiques par coeur. Mais est-ce que je parviendrais à me débrouiller dans le marasme de la vie de tous les jours, parmi des parlants beaucoup moins académiques que mes professeurs? A choisir la bonne formulation si j’étais mise sous pression, comme lorsque des gendarmes avec l’air très pressé nous ont arrêté.e.s à la frontière après un long voyage de retour de la Pologne? Le cas échéant, il faut avant tout gérer son anxiété, ce qui n’a jamais été ma spécialité. Enfin, il faut d’abord tenter sa chance, sauter dans le vide afin de prendre son envol. A l’époque de ces questions j’ignorais, par exemple, que de là à quelques semaines je me porterais volontaire en tant qu'interprète au service d’une association de bénévolat pour ensuite me basculer entre français et anglais avec pas mal de résultats. Franchie la frontière physique des nations aussi bien que celle spirituelle de la célèbre “zone de confort", c’est donc aussi grâce à cette expérience que, une fois de retour en Vallée d’Aoste, j’ai recouvré la confiance pour postuler en qualité de conseillère à la cinquième édition du Conseil des Jeunes Valdôtains.

- Texte de Francesca Colacioppo